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Ethnosociologie

Une saison en gris

La mélancolie liée à l'automne et ses feuilles mortes n'est pas une invention de poète. Quand la lumière pactise avec le gris, à l'aube de l'hiver, nombreux sont ceux qui connaissent une baisse de moral et de motivation, des envies de sucré… et de grandes difficultés pour se lever le matin. «La dépression saisonnière, baptisée SAD1 en 1987, toucherait 13 % de la population française », confie Martin de la Soudière, ethnosociologue au Cetsah2. Ce chercheur et sa collègue Nicole  Phelouzat, psychologue et ingénieur d'études, ont rencontré depuis 4 ans de nombreux malades – les « novembristes » – et une dizaine de psychiatres séduits par leur approche transdisciplinaire. Après avoir établi le portrait-robot et la généalogie du SAD3, ils poursuivent aujourd'hui leurs investigations en France et dans les pays scandinaves. Leurs buts ? Mieux cerner ce mal-être hivernal et comprendre son essor en Occident.

En général, les symptômes apparaissent en septembre, culminent en novembre, s'atténuent quand les jours s'allongent mais persistent parfois jusqu'en mars. « Les novembristes abhorrent le gris qui habille cette période, analyse Martin de la Soudière. Comme si cette couleur leur rappelait l'usure, le travail lent et invisible du temps sur les choses ». Pour nos chercheurs, une des principales origines du SAD est sociale : « Avec l'électricité, nous vivons aujourd'hui comme si les jours ne réduisaient pas en automne, analyse Nicole Phelouzat. Et au travail, c'est souvent à cette période que nous devons être le plus performant, au contraire de l'été qui est pourtant bien plus propice ». Côté biologique, la diminution de la lumière entraîne la production de mélatonine, une hormone sécrétée habituellement la nuit. Au final, l'horloge biologique des personnes affectées ne parvient pas à s'ajuster à leur rythme social...

La solution ? Les exposer à une lumière blanche et intense une heure par jour. « Bien pratiquée, la photothérapie guérit près de 80 % des patients, note la chercheuse. Seul bémol : elle a été récemment démédicalisée de façon sauvage ». Vendus en grandes surfaces, les appareils diffusent une lumière sans UV de 2 500 à 10 000 lux (contre 600 pour une pièce éclairée), mais les notices d'utilisation ne valent pas un avis médical : «Nous avons rencontré une personne qui utilisait le sien avec des lunettes de soleil, ce qui annihile le traitement », raconte Martin de la Soudière. Et quand les soins sont prodigués à l'hôpital, « les rendez-vous ont lieu tôt le matin, explique Nicole Phelouzat. Or les patients dorment mal, sont fatigués au réveil et abandonnent souvent le traitement ». Des exemples qui plaident pour une rapide reconsidération sociale et médicale de ce mal-être saisonnier… Au risque de tarir une source d'inspiration chère à nos poètes. 

 

Matthieu Ravaud

Notes :

1. Seasonal Affective Desorder.
2. Le Centre d'études transdisciplinaires (sociologie, anthropologie, histoire) est un laboratoire EHESS / CNRS.
3. « Les mois noirs. Dépression saisonnière et photothérapie : approche anthropologique », Nicole Phelouzat, Martin de la Soudière, in Méandres n°8, 2001, p. 7-63.

Contact

Martin de la Soudière, soudiere@ehess.fr
Nicole Phelouzat, phelouza@ehess.fr


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